Ou comment le film Premier Contact m’a rappelé les origines de ma vocation de traductrice
Mieux vaut tard que jamais, j’ai enfin vu le film Premier Contact (The Arrival), de Denis Villeneuve, adapté d’une nouvelle de Ted Chiang, L’Histoire de ta vie. Auteur que je retiens pour le coup, tant j’ai aimé cette histoire, sa profondeur, ses émotions.
Dans le film, nous suivons le parcours de Louise Banks, universitaire spécialisée en linguistique qui découvre avec le reste du monde l’arrivée simultanée de 12 vaisseaux extraterrestres aux quatre coins du monde. Quelques jours plus tard, le colonel Weber débarque dans son bureau et lui demande de traduire les sons provenant de ces extra-terrestres. (Moment qui parlera sûrement à tous les traducteurs professionnels… « How do you translate this ? »)
C’est le début d’une aventure remarquable pour la jeune femme qui va se rendre à l’intérieur du vaisseau pour tenter de communiquer d’une façon ou d’une autre avec les créatures de l’espace. Je n’en dirai pas plus, car il y a bien d’autres choses à découvrir dans ce film.
C’est un très bon film pour toutes sortes de raisons, notamment pour sa musique, signée Jóhann Jóhannsson, qui est absolument envoûtante.
Ensuite pour sa mise en scène, qui est impeccable, et nous emporte dans ces événements mystérieux et surprenants, sans en dire trop, sans tout expliquer quinze fois comme c’est si souvent le cas dans les productions contemporaines. Là, le suspense est soigné, les clés sont distillées tout au long du film, jusqu’à la fin qui est de toute beauté et d’une profondeur impressionnante.
Enfin, ce qui a particulièrement résonné en moi, c’est la place attribuée au langage. Remarquez que je me suis retenue jusqu’à cette ligne pour ne pas m’écrier plus tôt : « Hourra ! Une universitaire linguiste en héroïne d’un film de science-fiction, enfin ! Notre cœur de métier enfin reconnu, notre talent étalé à la face du monde entier, victoire ! »
Outre cet aspect qui apporte un certain plaisir corporate, il faut l’avouer, ce film nous propose une bonne dose de réflexions sur le langage, son apprentissage, sa place dans une culture, la façon dont on s’y prend pour communiquer malgré la barrière du langage. Des questions fondamentales et tellement universelles en même temps.
Je ne veux pas dévoiler trop de choses du film, pour ne pas gâcher les surprises à ceux qui ne l’auraient pas vu, mais j’ai adoré l’analyse du langage extra-terrestre. Imaginez un peu : une écriture non linéaire qui ne retranscrit pas les sons du langage oral. Eh oui, dans la plupart des langues que nous connaissons, l’écriture est une retranscription des sons produits à l’oral. Mais si l’on dissociait les deux, cela voudrait dire qu’on pourrait atteindre des niveaux d’expression insoupçonnés, ça laisse un peu rêveur, non ?
Et encore au-delà de ça, toute cette histoire, ce personnage de la linguiste qui cherche à communiquer de la façon la plus efficace possible face à des locuteurs d’un langage inconnu, c’est aussi bien évidemment, un éloge de la tolérance. Contrairement à d’autres personnages, qui ont des réactions bien plus radicales dans le film, Louise veut comprendre ces extra-terrestres pour pouvoir ensuite échanger avec eux.
Et tout cela me rappelle pourquoi j’ai choisi ce métier, pourquoi je me suis passionnée pour les langues dès le lycée, pourquoi ça fait quinze ans que j’ai fait de la traduction mon métier. Oui, c’est précisément pour ça, comprendre l’autre, sa différence, et communiquer avec lui, pour ensuite communiquer avec ceux qui ne connaissent pas cette autre langue. Cela peut paraître tout bête énoncé comme ça, mais il faut dire qu’avec le quotidien, les habitudes qui s’installent, les commandes et contrats qui s’enchainent, etc. c’est le genre de choses qu’on peut facilement oublier, tout seul, derrière son petit écran d’ordinateur.
J’ai choisi la traduction, car c’est ce que je sais faire de mieux. Je me confine donc au domaine de l’écrit, ce qui n’est pas un mal en soi, mais il est vrai que l’oralité a tendance à m’échapper bien plus aisément et je le regrette. L’été dernier, j’ai suivi une initiation au hindi à l’INALCO. Imaginez ma surprise quand j’ai découvert que c’était une initiation uniquement orale. Apprendre une langue étrangère, rien qu’en parlant, sans prendre de notes ? J’étais sceptique, c’est une approche qui ne correspond pas du tout à mes schémas habituels. Et pourtant, au bout d’une semaine, j’ai atteint un niveau bien évidemment rudimentaire, mais que je n’aurais jamais imaginé pouvoir atteindre de cette façon-là. Cela a été une révélation pour moi.
Le film va dans ce sens aussi : le langage ne cesse de nous surprendre. Parce que l’être humain est fait pour communiquer. Même quand on n’en a pas encore les moyens parce qu’on ne partage pas la même langue, on ne peut s’empêcher de vouloir communiquer malgré tout, par quelque moyen que ce soit. C’est cet élan de communication qui est terriblement bien rendu dans le film et qui me rend fière d’avoir choisi ce métier qui construit des ponts entre les cultures.
Voilà une jolie façon de conclure l’année 2016 : renouer avec les origines d’une vocation pour bâtir une nouvelle année pleine d’élan et tournée vers l’autre. Je vous souhaite d’excellentes fêtes de fin d’année. Merci de m’avoir lue jusqu’ici et je vous donne rendez-vous l’année prochaine pour de nouvelles aventures 😉