Les faits
Ces derniers jours, on a beaucoup parlé du prochain livre de J. K. Rowling, The Casual Vacancy (titre français annoncé : Une place à prendre). Apparemment, il serait convenu que les traducteurs ne disposent pas de l’ouvrage avant sa parution en anglais, le 27 septembre. Seulement commercialement parlant, une sortie du livre traduit avant les fêtes semble s’imposer. Les traducteurs disposeraient ainsi de 3 semaines pour traduire cet ouvrage de 480 pages.
Le débat
Les réactions parmi les traducteurs professionnels ont été vives, notamment en Finlande où Jaana Kapari, la traductrice ayant traduit toute la série Harry Potter, a indiqué qu’elle refuserait de travailler dans ces conditions.
La traductrice Jill Timbers a écrit un billet sur le blog de Lisa Carter à ce sujet (en anglais). Lisa a poursuivi la série avec d’autres réflexions personnelles ici et là.
Le blog Three Percent, connu pour faire la part belle aux traductions, en parle également ici.
La traductrice littéraire française Danièle Laruelle (à qui l’on doit notamment de pouvoir lire Eragon dans la langue de Molière) a exprimé son point de vue sur le site d’Actualitté.
Reste à savoir si le traducteur français des Harry Potter, Jean-François Ménard, relèvera aussi ce défi dans ces mêmes conditions.
On avait déjà évoqué le fait que les délais pour ces ouvrages étaient très courts. Cette traduction française a aussi fait débat en raison de coupes et de certaines erreurs relevées par des fans. Il a même été question de piratage, car certains fans ont publié leur propre traduction avant la sortie officielle de l’ouvrage traduit. Bref, les questions soulevées par la traduction autour d’une oeuvre si médiatique que celle de J. K. Rowling ne sont pas nouvelles. Une consoeur traductrice et auteur du blog Naked Translations en parlait déjà en 2005.
Mon grain de sel
Pour ma part, si je fais un calcul basique des chiffres auxquels je suis habituée (et qui n’engagent que moi) : 480 pages x 250 mots = 120 000 mots. Cela impliquerait de traduire (week-ends compris) 5 714 mots par jour. On compte en général qu’un traducteur peut faire 2 500 mots par jour. Cela représente donc plus du double. C’est impossible à réaliser pour une seule personne. Effectivement, si on s’en tient aux chiffres c’est irréalisable.
Mais c’est vrai qu’au-delà de cela, ça dénote d’une déconsidération du travail du traducteur qui est choquante. Qu’est-ce qui est le plus important finalement ? Vendre beaucoup de livres tout de suite et tant pis si les lecteurs râlent (car ne nous voilons pas la face, dans de telles conditions, la qualité en pâtira forcément) ? Ou proposer des ouvrages de qualité tout simplement ? J’ai un regard peut-être un peu naïf sur les maisons d’édition, mais j’espère vraiment que pour la plupart, c’est la deuxième proposition qui est au coeur de leur travail.
Ces débats vous inspirent des réactions ? Les commentaires sont à vous !
Image de Jeremy Brooks
C’est clairement TRES compliqué cette histoire. Oui, c’est tout simplement minable de supposer qu’un traducteur puisse faire un travail correct dans ces délais, et je ne sais pas si en mettant plusieurs traducteurs en « batterie » ce serait mieux (à mon avis ce serait même une catastrophe).
Ca s’est fait des traductions littéraires en parallèle ?
En fait, le truc qui coince dans tout ça c’est la peur du piratage et de la diffusion des originaux.
A vrai dire, je n’ai pas pris le temps de lire les billets liés, donc je te donne « à chaud » mon avis sur le sujet…
Dans la traduction pragmatique, c’est assez courant de diviser un gros texte pour le confier à plusieurs traducteurs. Ainsi, on traduit plus de mots plus vite, mais cela implique un travail de relecture et d’harmonisation assez conséquent, mais tout à fait faisable.
En traduction littéraire, c’est à mon avis un peu plus difficile, car il est question de style. Le traducteur imprime qu’il le veuille ou non une voix qui lui est propre. Et si cette voix change au milieu du bouquin, ça risque d’être vraiment étrange.
Oui, la pression est beaucoup due au piratage. Apparemment cette pression est encore plus forte en Finlande du fait que les gens se tournent encore plus facilement que chez nous vers les versions anglaises originales.
Lise,
Thanks for adding your voice to this debate — I’m sorry I can’t respond in French, but I can read enough to get the gist of your post. 😉 As you say, let’s hope the publishers consider the second of two options and go for quality. It will serve them — and their readers — much better in the end.
Hi Lisa,
Thanks for stopping by! Thank you for raising this issue in the first place.
Yes, and no matter what the publishers decide, I think that the power is also in the hands of the readers. Today, as readers (or just as consumers in general), we begin to need to make conscious choices in order to support what we truly believe in.
I’m trying to do it(boycotting Amazon for example) , but even then it’s difficult…
The problem being that even when « voting with our wallet », there are too many who won’t really change their behaviour for our own to become visible by the « providers ». That’s Mass Market for you ;(
You must be right (sadly). I just can’t help believing one day it’ll show.
Triste – et complexe – situation, en effet. Une fois de plus, on veut tout, tout de suite. Pourtant, « vite fait » rime rarement avec « bien fait » : peut-être est-il temps de l’accepter ? Espérons que le refus de travailler dans de telles conditions exprimé par certaines pointures du métier puisse avoir du poids vis-à-vis des éditeurs. Car si ces pratiques ont lieu pour des ouvrages issus de la plume d’écrivains reconnus, qu’en est-il pour les livres des auteurs lambda ?…
Merci pour ce commentaire. En effet, la problématique doit être la même en termes de correction. Oui, gardons espoir !
Concernant le taux de conversion, j’ai souvent lu que les tarifs en édition se faisaient souvent au feuillet, ce dernier étant composé de 1500 signes, soit environ 230-250 mots (en fonction de la moyenne de longueur de mots appliquée).
Donc ici, une page = un feuillet ?
Le feuillet est une notion assez compliquée, mais oui, on peut simplifier en disant qu’une page de livre publié = un feuillet. Après dans la réalité, tout dépend de la mise en page, des quantités de dialogues, etc.