Comme annoncé à cet endroit, je me suis donc plongée cet été dans les 516 pages du roman Hildegarde, signé Léo Henry. Je savais que cette lecture serait hors du commun, mais j’étais loin d’imaginer à quel point.

Le pitch de départ

Hildegarde est cette abbesse née en 1098 qui prit le voile à l’âge de 15 ans et fut mère supérieure d’un couvent à Disibodenberg. Elle a eu des visions, qu’elle consigna dans un ouvrage intitulé le Scivias. Elle fut donc rapidement qualifiée de sainte et eut même droit au titre de « docteur de l’église ». Mais ce n’est pas tout, elle connaissait aussi fort bien les plantes et les animaux, elle était douée pour la musique et composa des airs et des pièces musicales. Bref, une femme exceptionnelle à plus d’un niveau.

Pas étonnant que Léo Henry nous offre un roman si foisonnant pour parler d’un personnage aussi hors du commun. Ce qui est fascinant dans ce livre, c’est l’angle justement choisi par l’auteur. Nous narrer la vie d’Hildegarde de sa naissance à sa mort de façon totalement linéaire n’aurait en effet pas eu grand intérêt, et il y a d’ailleurs peut-être déjà bien quelques livres d’histoire qui font cela.

Non, Léo Henry, lui, a décidé de nous plonger dans l’époque de Hildegarde, selon des points de vue multiples afin que nous puissions goûter l’atmosphère de ces temps reculés. Il nous offre une véritable expérience de lecture (voire un petit voyage dans le temps).

Écoutez plutôt

Ainsi, on commence notre périple à Cologne avec quelques portraits de saintes (Hélendrude, Cordula, Ursule et Elizabeth) brossés sur le vif. Puis on entre dans la vie de Trithème, un érudit qui s’intéressa de très près à Hildegarde, au point qu’il en a même collectionné les reliques.

Ensuite, Jérusalem nous fait nous glisser dans la peau d’Orlando, garçon qui perd tous ses proches dans une épidémie de peste et se trouve livré à lui-même alors que les foules partent en croisade dans une effervescence folle. Puis on découvre la vie de Disibod & Rupert, des saints qui donnèrent leurs noms aux lieux qu’Hildegarde a fréquentés.

Le Lapidaire reprend chaque pierre et les vertus qu’on lui prêtait au Moyen-Âge, et l’auteur mâtine cela d’un dialogue entre la nonne et son assistant Volmar. Grands débats théologiques et souvenirs de faits saillants dans la vie du couvent. Vita Hildegardis nous permet ensuite d’en savoir plus sur cette éminente femme à travers le témoignage d’une foule de personnes l’ayant côtoyée : abbés, vierges, nourrices, servantes, évêques répondent à l’appel sous la plume de l’auteur pour raconter des bribes de la vie de Hildegarde.

Le Légendaire est doté d’un souffle épique extraordinaire : il reprend l’épopée germanique de Parzival, Dietrich et Siegfrid, le tout narré par une vieille sorcière qu’on a grand plaisir à écouter. À Mayence, récit à la 2e personne, le lecteur est percé à jour : c’est celui qui écoute des histoires, il croise bardes, chœurs de femmes et autres raconteurs, et la dynamique du texte veut que ces récits soient (trop) souvent interrompus. Enfin, avec l’Apocalypse, on se confronte aux dernières pensées imaginées d’Hildegarde.

L’art et la manière de raconter

Dans un entretien donné aux Imaginales, Léo Henry expliquait que la genèse de ce roman venait d’une question : comment parler d’un âge aussi reculé que ce XIIe siècle ? Qu’avons-nous en commun avec les hommes et les femmes de cette époque ? Sa réponse est illustrée dans chacune des pages de cet ouvrage. Nous avons en commun nos sens : nous percevons la nature et les paysages de façon similaire. Et bien sûr, nos réflexions et nos sentiments peuvent se ressembler, même si nous les expérimentons dans des contextes forcément différents.

C’est en cela que ce roman est une réussite : nous entrons en immersion complète dans l’époque. Ainsi, dans Mayence, on se retrouve dans « la plus grande fête de l’histoire de la chevalerie » donnée par Frédéric Barberousse avant son départ en croisade, et franchement, c’est décrit comme un lendemain de festival trop arrosé. Comment ne pas s’identifier ? On descend sur la berge du Rhin.

« Un bras surgit, une main qui s’arrime à la branche et tire du buisson la face hideuse de l’homme qui y était à dormir. Le poil est blanc sale, clairsemé, la peau rubiconde, trois dents se perdent dans une mâchoire d’où émanent des remugles de cave à vinaigre. Tu t’écartes pour laisser sortir le monstre, qui tâtonne en direction de ta cruche, puis la vide. »

Cette plume qui foisonne nous embarque aussi dans un tourbillon d’émerveillements, si bien qu’on perd souvent pied. Du moins il m’est arrivé de renoncer à suivre de trop près, accepter de louper quelques références, pour plutôt me laisser emporter dans cet élan. Ainsi, dans Jérusalem, on découvre Constantinople à travers les yeux d’Orlando :

« La cité de Constantin était la plus vaste de l’univers. On y trouvait tout, chaque variété des hommes du monde, et chaque chose s’y offrait ou s’y vendait, les plantes, les animaux, les paroles, les enchantements. J’y ai vu des peaux rouges, jaunes, bleues à force d’être noires, des cheveux teints, des habits de métal, et entendu des langues qui semblaient des chants ou des cris ou des prières d’enfants. »

Et l’auteur a cette façon si vivante de raconter avec ses « voici » « écoutez plutôt », « voyez ». Cela lui donne une carrure de conteur indéniable, mais cela crée aussi des échos très cinématographiques. Pour moi la première nouvelle sur la vie des saintes était comme un grand travelling sur ces événements, ces décors, cette époque. En gros, Léo Henry nous donne à voir le Moyen-Âge dans toute sa viridité et ce de manière très personnelle et remarquable.

Sa langue est précise et lumineuse, un régal de lecture. Tout du long je m’en suis délectée et je pense que ça a beaucoup nourri mes traductions littéraires en cours, et j’espère qu’il nourrira également mes écrits à venir. Aussi, les éditions La Volte nous proposent là un très bel objet avec sa couverture blanche ornée de motifs végétaux, sa police très agréable, son papier épais. Cette lecture fut un plaisir de bout en bout.

C’est le premier titre de Léo Henry que je lis, et vu le coup de cœur, je vais me mettre en quête d’autres de ses livres sans tarder 🙂

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